Infirmière dans un grand hôpital lyonnais, J. apporte ici son témoignage sur les conditions de soin effroyables dans les services dédiés au traitement des patient-es atteint-es du COVID-19.
Lorsque l’on prend son service dans un service hospitalier qui traite les patient-es covid-19, voici le rappel qui nous est fait : la transmission du coronavirus est établie en 2 catégories
• Gouttelette : c’est-à-dire qu’à chaque fois qu’on respire, on diffuse des gouttelettes d’eau invisibles qui portent le virus. (D’où la mesure barrière à 1 mètre de distance)
• Contact : c’est-à-dire à chaque contact physique avec le ou la patient-e et avec ce qu’il-elle a touché.
Dans un hôpital public, des services de soins continus ont été transformés en services de réanimation dite «légère» pour répondre à la pandémie. C’est dans ce cadre que j’interviens.
Les conditions de soins, les moyens
Après quelques politesses, on m’explique les mesures d’isolement de ce service pour lutter contre le covid-19 et se protéger.
Niveau matériel, le nerf de notre «guerre»; nous disposons de 2 masques FFP2 par jour et une charlotte pour la journée (de préférence, si on « abuse », il n’y en aura plus). Nos journées durent 12 heures.
Je comprends donc rapidement qu’à partir du moment où je mets un FFP2 sur le visage, je ne devrai l’enlever que 6h après (les recommandations stipulent qu’au bout de 4h, l’efficacité du masque n’est plus garantie).
[On ne va pas se plaindre, déjà on en a ! (Ni pleurnicher, comme le dit dans un élan de mépris et de sexisme un célèbre animateur télé payé 100 000€ par mois).]
Pour la charlotte, la conclusion est : tu mangeras avec ta charlotte sur la tête, tu iras avec ta charlotte aux toilettes etc…
Puis on passe aux autres équipements :
1 paire de lunettes pour ma venue, on me conseille de la mettre dans mes affaires pour la retrouver le lendemain (denrée rare également).
La surblouse à manches longues pour protéger les bras et notre tenue : 1 pour 12H c’est-à-dire qu’à chaque fois que je rentre dans la chambre DES patient-es (oui parce qu’on en a plusieurs par chambre), je devrais remettre la même blouse.
Les protocoles médicaux habituels nous ordonnent de changer de surblouse à chaque patient-e.
Concrètement : je fais la toilette du patient 1 je garde la même blouse pour la patiente 2 … Donc à l’intérieur du service, si ma surblouse est souillée par un-e patient-e, elle fait le tour des autres.
On nous demande de les mettre de côté pour que l’hôpital les lave et les stérilise… (usage unique?!)
Les tabliers en papier, jetables également : ils protègent en cas de soin mouillant, et protègent le ou la patient-e de ce qu’on amène des autres chambres.
Le premier jour, on m’a demandé d’en mettre un nouveau par-dessus la surblouse pour chaque patient-e et à chaque passage.
Puis la consigne a changé : 1 par patient-e par jour, à mettre de côté et à remettre à chaque fois dans la chambre.
Qui nous donne ces consignes ? Les responsables des services d’hygiène de l’hôpital qui, en fonction des stocks, nous donnent la bonne conduite à tenir… Ils sont normalement garants de notre sécurité et de celle des patient-es.
J’allais oublier les gants : normalement pour tout-e patient-e, covid ou pas covid, les consignes sont claires :
Tout soin où il y a contact ou toute exposition à des liquides biologiques avec la ou le patient-e nécessite des gants.
Et là…. Nouvelle consigne : les gants commencent à manquer, donc il sera possible et concevable que lorsque que nous faisons la toilette des patient-es, il n’y ait plus de nécessité de mettre des gants. Nous procéderons donc aux soins d’hygiène corporelle à mains nues dans les jours à venir si les stocks n’arrivent pas.
C’est bien l’infirmière, diplômée d’Etat, hygiéniste qui nous tient ce discours.
L’infirmière contaminante
La journée continue, je commence à me sentir sale, j’ai l’impression de diffuser du covid-19 partout. Ce qui est le cas, car comme ils et elles sont tous infecté-es, on ne doit pas s’en faire…
Cependant, on nous demande de désinfecter toutes les surfaces toutes les 3h (poignées de porte \ ordinateurs\ téléphones).
Ma surblouse a été à plusieurs reprises empruntées par les médecins qui n’osent pas en prendre une neuve de peur de vider un peu plus les stocks, mes tabliers disparaissent puis reviennent car les autres soignant-es les utilisent aussi…
Et là, ma collègue me dit qu’il ne faut pas s’en faire, nos masques n’ont que 20 ans de péremption! et oui, ils sont périmés depuis 2001.
Ambiance, je vous laisse imaginer la tension qui règne dans ce service qui est transformé (unité de soins continus en unité de réanimation), avec du personnel qui n’est jamais là d’habitude (les infirmier-es anesthésistes et les infirmier-es de bloc opératoire sont présent-es, ainsi que des intérimaires). Les soignant-es n’ont pas accès à des plannings clairs et se retrouvent confronté-es à de multiples difficultés d’organisation; ce qui génère beaucoup de tensions.
Les bouteilles de solution hydroalcoolique sont sous clef, elles sont gérées par le médecin de garde qui lui même n’est pas au courant de sa mission. Nous perdons du temps afin de savoir comment s’en procurer.
Des mesures avaient été mises en place pour limiter la transmission gouttelette des patient-es pour protéger les soignant-es :
• Aérosols interdits (nébulisation de médicaments qui propage des gouttelettes partout dans la chambre).
• Oxygénothérapie à très haut débit interdite (plus on monte le débit dans le nez des patient-es, comme pour les aérosols, plus les gouttelettes se propagent dans la pièce).
Cependant afin d’optimiser la guérison de nos patient-es, nous ne pouvons pas éthiquement respecter ces consignes.
Parlons de nos patient-es
Ils-elles n’ont pas le droit aux visites!
Nous devons appeler les familles – enfin juste la personne référente – 2 fois par jour, pour qu’ils ne nous appellent pas toute la journée à des moments inopportuns.
Les patient-es, s’ils n’ont pas de téléphone portable ou pas de chargeur, sont isolé-es, seul-es, n’ont aucun contact avec leur famille à part les quelques messages que nous faisons passer.
Ils sont seul-es, angoissé-es, se demandent chaque jour pourquoi leur état ne s’améliore pas; la durée d’hospitalisation est de plusieurs semaines.
Nous sommes face à des situations exceptionnelles que nous n’avons jamais rencontrées : souvent, certain-es patient-es hospitalisé-es pour covid ont leurs proches aussi hospitalisés. Ces proches parfois décèdent, nous devons donc également accompagner ces patient-es endeuillé-es, seul-es sans leur famille…
Conclusion : les soignant-es sont donc sacrifié-es, mais ça on le savait. Surtout, on se sent trahi-e, oublié-e; on nous ment tous les jours sur les bonnes pratiques, les recommandations, les stocks qui vont arriver et ne sont jamais là. Nous nous sentons impuissant-es.
En discutant avec les collègues, certain-es racontent qu’ils et elles n’osent plus s’approcher de leur conjoint-e, étant à risque; d’autres n’embrassent plus leurs enfants. Car tous ont la même conclusion : compte tenu de nos mesures de protection, il est impossible d’échapper au covid.
On espère tous l’avoir déjà eu, mais l’angoisse est palpable à la moindre courbature, au moindre petit toussotement. On en rigole mais on espère tous et toutes ne pas avoir le covid.
Être sale
Être sale, c’est vraiment le terme qu’on emploie pour dire qu’on est contaminé-e. Il existe des réanimations «propres» sans covid, et les «sales» réservées aux patient-es covid – c’est drôle cette appellation quand j’y pense – donc nous, on est les sales.
Les patient-es : on peut les appeler les oublié-es, elles-ils sont seul-es avec nous.
En effet, les psychologues et les psychiatres se déplacent très peu, surtout dans les unités covid. Ils-elles ont peur, sont en souffrance.
A chaque examen, on calcule le bénéfice/risque de déplacer pour infecter d’autres structures, on limite nos passages dans les chambres, on est habillé-e en cosmonautes à chaque fois qu’on les voit.
Les familles
Les familles : là aussi, c’est la grosse détresse. A chaque fois qu’on appelle la personne référente, elle s’arrête de respirer tant la peur de la mauvaise nouvelle est présente. On m’a raconté une anecdote effrayante.
Un membre de l’équipe soignante a appelé le frère d’un patient et a eu la maladresse de lui demander s’il était en voiture (il croyait entendre le moteur). Il lui a demandé s’il voulait qu’il le rappelle dans un moment, pour qu’il ne se mette pas en danger.
Sa réponse fut «vous allez m’annoncer qu’il est mort?», alors que son frère allait pour le mieux.
Nous devons prendre toutes les précautions sur les conditions dans lesquelles se trouvent les familles lorsque nous les contactons.
Dans certains hôpitaux, les psychologues s’engagent à faire des entretiens téléphoniques avec les familles quand on leur signale une détresse. Elles-ils font la même chose pour les soignant-es; mais ce n’est pas partout.
Alors même si les applaudissements sont la fausse bonne idée … ça fait quand même du bien en sortant du boulot, le visage marqué par les masques, d’entendre ce moment d’euphorie pour soi. Alors continuez, et surtout, nous on n’oubliera pas.
P.-S.
Je remercie chaleureusement notre direction qui, pour nous témoigner sa reconnaissance et son souhait de nous protéger, nous a envoyé sur nos boites mails un excellent tutoriel.
Grâce a elle, je sais désormais fabriquer des sur-blouses avec des sacs-poubelles.
En France, grande puissance économique, on n’a pas de pétrole (ni de masques, ni de tests, ni de gants, ni de blouses) mais on a des idées!
